GENESIS l FOXTROT I 1972


M. Poulain, c'était mon prof d'histoire, et lui, c'était un tueur.


Beau gosse, des costards incroyables, des boutons de manchette plus gros que ses yeux en trous de pine. L'été, il retroussait méticuleusement ses manches, pendant de longues minutes, tout en débattant des clauses du protocole secret du pacte germano-soviétique. Y avait pas plus maniaque. A la Charterhouse, on murmurait dans les couloirs qu'il avait fait Sciences Po. Parait que c'est une grande école, c'est dans le 5ème. Mais parfois, M. Poulain, il m'emmerdait sec. On croirait qu'il faisait exprès. Du coup, pour tromper l'ennui, je me collais mon walkman auto/reverse, tu sais, avec l'oreillette dans la manche. La feinte. Bon quand je portais une chemisette, j'avais du mal, c'est vrai. A l'époque j'étais sûr de ma doublette Get Them Out by Friday/Supper's Ready. Des cimes d'innovation musicale sans cesse renouvelée, une rigueur instrumentale à décourager les lauréats du CNSMD, des non-dits littéraires trop pertinents et plus encore, que tu sauras découvrir tout seul tellement l'introspection t'y crois, jeune. Ce qui est chelou, c'est qu'en plus, je me gavais des Rock&Folk&Best qui aimaient bien défoncer gratuitement le prog naissant. Genesis et Yes bien sûr. Des fierots avec un look de gogues qu'avaient lu des livres mais qui savent ni hurler avec leur glotte ni brancher correctement leur fuzz. C'était marrant, mais je pensais qu'ils exagéraient un max pour se la raconte esthète qui a tout compris à l'air du temps. Mais comme ils avaient raison, j'aurais aimé être moins con. Le kiff prorégressif de base, donc. 
Car je dois l'avouer, maintenant, oui, j'ai honte. Honte de ce que j'ai aimé. Pas de tout bien sûr, mais de ça, quand même. Je pensais naïvement que Tony aurait pu m'emporter sur ses claviers volants, par delà l'île aux enfants chétifs; que Mike saurait masquer son physique de hamster par ses arpèges enluminés à 38 cordes; que Steve me soulèverait le coeur une fois ses pédales réglées, et que Phil se garderait de quintupler ses coups de toms en doublant Peter. Mais depuis, j'ai ouvert les yeux. J'ai appris. J'ai découvert ce que cachait ce culte de la fioriture boursoufflée, ces contes et légendes de roliste, ces panoplies en carton, ces couleurs pastel, ces accords médiévaux, ces coudes sur les claviers... Je comprends maintenant ce qui a pu faire de Foxtrot la B.O. de ma scolarité, ce qui a pu m'enfumer à ce point. Ce gouffre permanent entre la majesté vocale et la suffisance instrumentale (l'inverse de Yes, en gros),  un organe impossible pour un orgue pas possible. Un décalage constant, témoin des doutes schizophrènes de l'adolescence: ambition/frustration, instinct/réflexion, influence/autonomie, révolution/inertie, foot/livres, duvet/rouflaquettes,  métal/pop, informatique/sexe, biactol/eau précieuse,...

Mais tu te lèves un matin, un matin pour rien, et tu te dis que maintenant ça suffit les conneries.


Voilà pourquoi j'ai jamais pu finir Watcher Of The Skies. Et pas moyen de trouver un témoin encore vivant ayant réussi.


Déjà que ma voisine me les brisaient menues avec ses cours de piano du dimanche matin, voilà Tony, son prof apparemment, je croyais qu'il préférait les nourrissons, bref, qui sirupe son arpège de Bontempi sur Time Table. Et encore, je te parle pas du rappel du thème à 1'44. Même au resto U, ils en veulent pas. Sa mère. Et l'autre emmanché qui fait le malin avec sa descente de basse en aigu sur le pont (0'36 et autres). Du carton en barres.


Alors oui, si tu veux, après l'intro qui n'aura jamais de patate, y a bien l'arpège de Get'Em Out By Friday (1') qui tient la route, avec la voix de fouinasse de l'huissier de la société Styx, mais bon, ça dure pas trois plombes. Et pourquoi rajouter la tourne d'Hammond derrière ? Déjà, à l'époque, les arrangements bidon, ça me gonflait correct. Bon, le petit flash info sur la réduction de la taille humaine afin de doubler la capacité locative (6'); dans l'attente des municipales, ça fait marrer, c'est vrai. Mais ça fait court de rigoler tous les six ans.


Pleins de ressources, les matheux: et si on reprenait la même intro qu'il y a deux morceaux, et qu'après avoir dégoûté tous les mômes d'apprendre le piano, on s'attaquait maintenant à la gratte ? (Can-Utility And The Coastiners) Super, les gars. Ca, c'est de la belle continuité conceptuelle qui fait tiep. Et les cadeaux bonux: des plaqués d'accord tout doux pour pas faire mal au médiator et montrer qu'on est accordé (encore heureux) qui lancent la plus infâme montée (au sens du volume, pas de l'intensité, je te rassure) de claviers connue, Emerson, Lake, Palmer And Clayderman compris.


Quand tu commences la gratte, au début, c'est dur. Ca fait mal aux doigts et ça sonne à côté. Donc t'as l'air d'un pignouf. Mais grâce à Genesis, qui te ponds une étude d'harmoniques (Horizons) à dégoûter Bert Jansch du banjo, tu te dis qu'en fait,  ça sert à rien de bosser à fond, et tu te persuades que Steve Howe, en fait, c'est un modèle d'humilité, le mec.


Bon ne t'attends pas à ce que ça s'arrange pour les accros du tabouret (oui, en live, Steve et Mike jouent assis, comme Fripp, tellement y a besoin de se concentrer sur ces partitions algorithmiques), mais la voix est doublée, donc ça compense (Supper's Ready). Pas de basse à l'horizon, y en a au moins un qu'a compris qu'il faut qu'il arrête. Tony a la confiance, lui. Mais tout seul, avec son rhodes qui va mal (2'45). Steve aussi, qui tente des couinements à base de bends en fade in surjoués (4'30) avant de partir dans un solo de gratte tellement étriqué qu'on dirait du kazoo (7'25). Du coup rien ne s'oppose au pire break, tous genres confondus (8'05-8'18).  Sauf Eddie Van Halen qu'a du trouver ça trop de la balle (Eruption). Faut être solide psychologiquement, mais si c'est ton cas, tu tiendras jusqu'aux accents pop qui fonctionnent toujours pas mal (11'03-13'35). Avant de sombrer devant le final qui n'en finit pas et qui te proposes pour pas plus cher une splendide synthèse de ce que tu t'es déjà mangé jusqu'ici.


Oui, moi aussi, tout ce bordel, ça me fait un peu penser à Gillles-Alain, le geek de la 3e B. J'avais rien de spécial contre lui, mais un peu quand même - ça faisait viril - et en même temps je m'en cognais vraiment. Il était pas con, un peu sociable (au bout de 15 jours), mais il était surtout d'une lourdeur in-son-dable. Le mien s'appelait Gillles-Alain, le tien sûrement Guy-Matthieu, peu importe, on doit parler du même. Après je dis ça, je dis rien, moi j'avais un Amiga 500, c'est pas plus glorieux, je peux aussi bien aller me recoucher. Comment ça craint la nostalgie, parfois, je te jure.

24 commentaires:

  1. mais nan..faut rien regretter.. y'a rien qui fait tiep .. si tu savais ce que j'écoutais à l'époque. D'ailleurs le JSF est là pour nous guérir de ça.. j'ai posté un JONI dans lespremières sessions :D
    Moi, y'avais un Genesis dans le liste pour ce deuxième jour.. mais c'était "Setting by ..". un truc bizarre pour celui là. ça a vieilli bizarre ce truc, mais j'y vais tjrs avec la même utopie.

    RépondreSupprimer
  2. Ha, vraiment cool ton billet.
    J'ai jamais pu saquer Genesis et contrairement à d'autres je n'y viendrai jamais.
    Du coup j'ai pas eu besoin de m'en débarrasser et les chroniques dont tu parles j'étais acheteur, même si tu dis qu'elles étaient gratuites... Et puis '77 est arrivé.
    Thanx pour le voyage.
    EWG

    RépondreSupprimer
  3. Jolie prose (j'ai tout lu malgré le sujet), ce qui est bien avec l'adolescence c'est que ça passe ...

    RépondreSupprimer
  4. Jolie prose (j'ai tout lu malgré le sujet), ce qui est bien avec l'adolescence c'est que ça passe ...

    RépondreSupprimer
  5. Bon , j'ai bien fait de ne pas le proposer et de parler de Harvest, mon texte aurait été moins rigolo et moins "reactionnaire", ta relecture est sans doute plus objective que la mienne ancrée dans un affectif et un souvenir d'une musiqiue qui ouvrait des horizons, qui pensait et développait autrement, avec le recul oui il y a parfois des terribles lourdeurs, des redites, du trop ... mais jamais je ne pourrais le laisser de côté celui là, je continue de cruser le sillion, il est devenu une partie de moi et non un épisode, il est ma culture de mon passé et non un épisode et une passade. Sans doute cela explique aussi mon attachement à la culture Krautrock qui jouait les mêms dérives, bref comme dit Charlu "jchui vieux !! " et cela ne me dérange pas, ni d'écouter encore avec envie ces vieilleries.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu m'en vois désolé. Mais l'allégorie avec le kraut, tu exagères un peu, je trouve.

      Supprimer
  6. Ah la chance un Amiga 500 moi j'avais un thomson 07... J'aurais pu être un Guy-Matthieu si finalement je ne me l'étais pas fait cambioler mon T07 à 1Mhz... Une aubaine avec le recul même si je suis encore devant un ordi.
    Jamais pu supporter Genesis, je ne sais pas pourquoi... enfin si en lisant ton billet je sais pourquoi.

    RépondreSupprimer
  7. C'est marrant....moi non plus Genesis....je ne pouvais pas!

    RépondreSupprimer
  8. Me suis bien marré, plus qu'en écoutant Genesis en tout cas, heureusement j'ai jamais passé une intro !

    RépondreSupprimer
  9. On a tous nos casseroles, celle-là est loin d'être la pire !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sans doute n'as tu pas eu la chance de te le retaper cette semaine. Moi, j'y ai perdu une oreille. Sans doute y a t-il une section paralympique du GJSFDBMDD ?

      Supprimer
  10. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer
  11. Pas ma tasse de thé Genesis, et puis la pochette rivalise avec celle d'hier... Mais bon, c'est la meilleure période du groupe tout de même.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sur la seconde période, Patrick Bateman a tout dit.

      Supprimer
  12. Genesis, je ne connais presque pas. Il me semble, du moins de ce que j'en ai lu, que leurs premiers disques sont les mieux. En même temps, je répète ce que disent les fans de ce groupe.
    Peut être ai-je tord et je me trompe (je le reconnais volontier) mais j'ai toujours associé Genesis, Yes, Emerson, Lake & Palmer et d'autres aux pires du Rock Progressif !! Mais je répète que peut être ai-je tord. Le peu que j'en ai écouté, il y a de ça pas mal de temps, j'ai pas accroché.
    Et Toorsch à raison, la pochette aurait été parfaite pour le thème n°1 !!!
    A +

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En même temps, à moins que non, le règlement intérieur ne dispose pas explicitement que la réponse aux thèmes ne peut être multiple, si ?

      Supprimer
  13. Aïe, Genesis... Heureusement qu'il reste ton texte pour se régaler.

    RépondreSupprimer
  14. Je l'avoue, il fut une époque où j'ai écouté Genesis et Yes. Je me souviens d'avoir hésité à les revendre pour ne pas avoir honte devant les vendeurs. Depuis, à cause d'un vent étrange de nostalgie, j'ai réessayé, et ça ne m'aurait pas gêné plus que ça de les aimer, mais ça n'est pas passé du tout!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je sais combien c'est difficile Jimmy James. Et je t'en félicite. Tu as fait le plus dur. Au Jugement Dernier, tu pourras partir en paix.

      Supprimer
  15. Je connais très peu et le peu ne m'a pas plus accroché que ça...

    RépondreSupprimer
  16. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer
  17. Chouette de voir cette pochette sur un blog, j'en reste à ceux qui gravitent autour du CDMD, et ton souvenir de classe en appelle d'autres, bien vu. Quand la musique se substituait à l'ennui des longues heures de cours..

    RépondreSupprimer
  18. Sorry des doublons, je ne sais plus si mon premier commentaire a été perdu ou bien passé à l'approbation.

    RépondreSupprimer
  19. Ah ah ah excellent. Merci pour ce beau billet. J'ai eu aussi une courte période Yes / Genesis à l'adolescence. C'est l'âge où on se cherche encore. Heureusement après une mauvaise digestion prog je me suis trouvé ailleurs.

    Désolé pour le passage tardif, il y a tellement de participants que je n'arrive pas à faire le tour.

    RépondreSupprimer