Tony WILLIAMS Lifetime I EMERGENCY ! I (turn it over) I EGO

Anthony WILLIAMS


 1 m 57



Tony WILLIAMS  
batterie, chant
John McLAUGHLIN
(alias A. HALL/Dave HERMAN) guitare
Larry YOUNG 
orgue
Sid MAURER 
photo

D'après certains spécialistes, et néanmoins amateurs, cet album constituerait la pierre de rosette du jazz-rock, rapport aux ajustements du calendrier grégorien. Ces mêmes experts révisionnant ainsi sans vergogne les exploits précurseurs du VOLUME TWO de SOFT MACHINE trois mois plus tôt ou du CORYELL de Larry CORYELL un mois avant. Afin de cesser derechef ce sinistre exposé d'une érudition mal digérée, relisons tranquillement les pages 609 et suivantes du « Dictionnaire du Jazz ».

Nous voilà donc là où les interférences parasitaires nourrissent en temps réel l'inspiration collective (de l'orgue d'outre-espace au tom-bass troglodyte). Bien entendu, personne ne saurait se lasser d'admirer les poignets en acier et les chevilles en béton du prépubère Anthony dans le second quintet de Miles, ni même renier le culte éternel qu'il voue au charley métronomique de SHHH/PEACEFUL, sans comprendre comment un beat aussi primaire puisse dégager une telle extase. Et pourtant, dans le Lifetime (les 3ers albums uniquement, question de pudeur), c'est au moins autant les débordements suggérés de la plainte vocale que la volubilité de ses membres qui m'étreint.

Hormis le viol imprescriptible d'EMERGENCY, c'est vrai.

Dès l'intro de BEYONG GAMES, je me vautre honteusement dans le canapé capitonné d'une salle de billards négligés où la tiédeur du bourbon peine à irriguer mon palais traversant le Hoggar. Je n'y vois pas bien clair. Bien calé dans le fauteuil en rotin de Sylvia Kristel (retourne-le), un homme de petite taille, à la moustache patibulaire, semble saisir par hasard un micro perché au-dessus de ses cymbales. Il s'émerveille à la découverte de son diaphragme. Au comptoir, droit comme un balai dans le fondement, un pote à lui, un peu trop blanc pour être innocent ou trop européen pour être sincère, sirote un Tonic agrumes. Avec beaucoup de sel. Je me méfie. Typique du genre à s'incruster avec une vanne cokée à mort. Ma dernière pensée a du le vexer. Il sort de sa housse une folk de baron, une Gibson Hummingbird amplifiée, me dit-on. Un gramme de speed dans chaque doigt. Un poil susceptible, ses ongles arachnéens décuplent mes acouphènes. Son ami afro-américain tente de calmer le jeu. Juste le temps de reprendre son tambour en fonte pour me laminer ma pauvre face charlestonnée. Là bas, tout au fond, près des gogues, discret, je crois apercevoir Yasser Arafat. Un homme de paix, me dis-je, mon sauveur. Que nenni. Les mains collés à son Bontempi, le cheik Khalid Yasin liquéfie ce qu'il me reste de conscience. Et ils ne sont là que depuis ½ heure, les barbares. Fin de WHERE.

Après une inspiration apnéique pour prolonger l'apéro autour du feu (VIA THE SPECTRUM ROAD), le pygmée me cueille à nouveau. Cul de jatte. C'était sans compter sur le réveil de l'émir. La tête dans ses touches, il souille sans retenue le répertoire adolescent de Carla BLEY (VASHKAR) et tant qu'à faire, corrige aussi son acolyte au banjo, toujours pas calmé (SPECTRUM). Implorant Saint-DOLIPRANE, le saint-patron des auditeurs de jazz-rock, je me ressers une pleine rasade de leur RIOJA limé, rafraîchi dans leur baignoire d'acides (SANGRIA FOR THREE). Sans aucune considération pour le genre humain, le liliputien aux mocassins en daim, faisant fi de la défenestration de tous ses admirateurs apprentis batteurs, leur intime de boycotter, à jamais, la Baguetterie (SOMETHING SPECIAL).


 

Tony WILLIAMS
batterie, chant 
John McLAUGHLIN 
guitare 
Larry YOUNG 
orgue 
Jack BRUCE 
basse, chant


Six mois plus tard, à peine remis du trip précédent, je croise incidemment les trois cinglés fouillant les bacs d'occasion chez Gibert Joseph. La peur m'étreint. A pas feutrés, je me rapproche sournoisement du groupe. M'ont pas l'air d'avoir la frite. Un peu tendus. Un ivrogne trapu au tarin cirrhosé nous rejoint. J'apprends qu'il a déjà bossé avec le gratteux transparent, qu'il a récemment fermé sa boîte et qu'il n'est pas inquiet pour son pouvoir d'achat. Je me rétracte. Il fait un peu le malin, mais j'ai comme la sensation qu'il peut se le permettre, le teckel. J'esquisse un sourire timide et les entreprends sur leur glorieux passé de l'autre jour. Ils commencent à se lancer des private jokes, apparemment géniales, en se foutant de la gueule de John et Jimi. Je saisis pas tout. Après 20 minutes de bégaiements gênés, le taré du charley prend réellement la parole. L'espace de 4'57'', il m'assure sans détour qu'il en a encore sous le pied (VUELTA ABAJO). Mais jouer au lasso avec son micro, sans les mains, ça le fait plus marrer, pour l'instant. Alors il le passe au briton imbibé, qui, je le sens à plein nez, va pas faire dans la nuance. Je passe ma main dans ma veste. 

C'est bon, mon larfeuille est encore plein. Prêt pour la prochaine livraison.




Khalid YASIN aka Larry YOUNG
orgue
Jack BRUCE
chant
Ted DUNBAR
guitare
Ron CARTER
basse, violoncelle
Don ALIAS/Warren SMITH
batterie, percussions
Tony WILLIAMS
batterie, chant
Michael GROSS
peintures

«Voilà, c'est çà, salut. Maintenant, on se calme. Non..., je ne te reproche rien, nigga, mais là, c'est bon, tu nous les a suffisamment brisées. Amuse-toi bien. Allez..., salut. Et fais la bise à Billy». Telles seraient les dernières paroles, approximativement traduites j'en conviens, de Tony WILLIAMS à John McLAUGHLIN, passablement usant ces derniers temps. Sans doute épris d'une certaine amertume en épluchant son mince relevé bancaire mensuel, Tony compte bien se la coller, désormais. « Sideman, c'était cool pour débuter, surtout avec l'autre fasciste de Miles, mais bon, en tant que leader, çà saoule de bosser pour le compte d'un pied tendre de gratteux», précisa-t-il à son fidèle organiste d'obédience musulmane. « Alors voilà ce que je te propose, Larry. Un petit plan à la cool. J'écris deux ou trois trucs, j'ai du lourd en attente, t'inquiète, on se revoit après Noël, si possible dans un autre studio que d'habitude, on apporte de quoi se charger, tu ramènes des potes si tu veux, et on y va ». D'aucuns diront décontractés du gland.

A la première écoute, comme beaucoup de mongols impatients de mon espèce, je me suis arrêté, et pour cause, sur THERE COMES A TIME, terrassé par l'évidence inédite de cette transe giratoire. Négligeant le reste de l'album, avide de défonçage rythmique que j'étais. Dans ces cas là, ces fameux cas où la supposée vacuité de l'album d'un idole vous procure une sensation de manque voisine de celle d'un pot au feu sans os à moelle, on peine à se resservir, fébrile d'affronter enfin cette maîtrise absolue des climats, ce sens aigu de l'hypnose, ce goût exclusif de la nuance.

Après un régime sec prompt à ruiner Michel Montignac, je ravale mon impatience passée. 

Au point de partir direct sur CIRCA 45. Flottant dans le hamac effilé de sa brownstone de Harlem, Tony décolle ses paupières, histoire de ne pas louper la dernière taffe de son barreau de chaise. Quelqu'un sonne au balafon. Larry ouvre la porte. C'est Ted, les doigts grands ouverts, qui vient de rentrer de vacances. Il a pas foutu grand chose, mais il s'est bien reposé. Ca avait l'air de le faire sa croisière aux Caraïbes. Il a bien aimé la musique d'ambiance dans l'avion.

Jack lui, s'en fout, il est déjà allé là-bas. Il met le dernier SANTANA sur la platine. Rho, et puis, ras le cul des congas. Il zappe. Apparemment, il a un truc capital à dire (TWO WORLDS). Tout le monde l'écoute religieusement. C'est pas limpide, mais il parle trop bien anglais, ce con. Larry l'interrompt sans violence, mais fermement. Il est pas pour, mais bon, pas du genre à vexer non plus.

Tony se lève. Il prend un café. Pas trop d'eau (SOME HIP DRUM SHIT).

Ca donne envie à Larry de se servir un godet à ras bord de thé à la menthe (LONESOME WELLS). On sonne à nouveau au balafon, ou peut-être au marimba, allez savoir, je bosse pas à l'IRCAM. Tony n'a pas spécialement envie d'aller ouvrir. Il pense à un truc compliqué mais sait pas trop comment y venir. Tiraillé entre son passé et son présent. Larry, c'est vraiment un pote, toujours là pour aider. Pareil pour Ted. Il est d'ordinaire timide, mais quand Larry a la confiance, il revit.

Larry en roule un autre (MOM AND DAD). Léger, qui sent fort et bon. Ted tire dessus. Peut-être un peu chargé, en définitive.

A la fin de cet après-midi d'hyperactifs, Tony rassemble tout le monde autour du feu, pour que chacun, du plus profond de son être, libère enfin ses peurs, et crache, à la face du mainstream, les insultes qu'il mérite (THE URCHINS OF SHERMESE).

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