Une enquête au vitriol sur l'omerta dans les services publics municipaux, publiée à l'époque sur le défunt Skeud.
Dans
chaque municipalité, la médiathèque constitue, avec le marché
alimentaire du dimanche matin, la manifestation la plus visible et l'une
des plus anciennes de la politique culturelle territoriale. Un havre de
savoir qui sent bon les acariens. Un mausolée de la connaissance où la
page cornée se fait reine, où l'hospitalité se veut religion. Car avant
que l'avènement du pire-to-pire ne légalise les partouzes auditives, les
futurs has-been des nineties y passaient le moins opaque de leur temps,
ces rachots.
C'est sur la rue de Fontenay, ce Mississipi francilien de la honte qui sépare les Nordistes des Sudistes, qu'Henri Gaudin, l'architecte ès Guggenheim, décida d'ériger la Sagrada Familia de la culture du prêt.
Le site
www.enssib.fr
|
Face à l'Hôtel de ville trône donc désormais le plus visité de nos monuments. Un Titanic d'aluminium inaltérable, gardien du sanctuaire dont seules les meurtrières d'émeraude satisferont l'indiscrétion maladive de vos iris envieux. Une fente étroite et profonde perfore la façade, pour mieux engloutir les visiteurs furtifs, à l'ombre des passants relativement rares dans ce quartier, n'exagérons pas non plus.
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Une fois à l'intérieur, un vertige vous saisit, voisin de celui que vous avez éprouvé, enfant, lors d'un de ses innombrables camp de vacances dans les Landes, où, au hasard d'une course d'orientation, le moniteur avait jugé opportun d'organiser un remake de Delivrance dans lequel vous incarnez Bobby, forcément. Engourdi, une vive chaleur rénale vous empêche de vous repérer dans ce hall zénithal aux murs souillés par le gang saint-mandéen des graffeurs daltoniens de petite taille.
Le personnel
www.normalesup.com |
Le prêt
www.justeacote.com |
Car
oui, anti-vincennois primaires, il ne s'agit pas simplement de
s'emparer d'un disque de sa main moite pour le déposer sur le comptoir
de l'agent municipal, qui, après un magistral scan du code barre, vous
assommera d'un "Au revoir et bonne journée" un poil mécanique avant de reprendre, passionné, la lecture de ce brillant condensé d'érudition francilienne que constitue la rubrique " A voir" du Parisien. Non, c'est bien plus compliqué que cela. Outre l'interdiction absolue
d'accès aux non-vincennois (au premier rang desquels trône l'ennemi
Saint-Mandéen), ce sont les modalités de prêt, limitées à 3 CD, (+ 3
livres, 3 BD, 3 RAIDER et 3 pins parlants), pour un délai de 3 semaines,
qui constituaient une véritable torture mentale du résident. Un piège
destiné à tester votre capacité à arrêter la trinité idoine. Pour cela, plusieurs techniques s'offrent à vous.
La technique du débutant
Votre hantise de l'univers carcéral est telle que vous n'osez penser à conserver, et ce, même dans l'intime pénombre des rayonnages de la "musique traditionnelle", un quatrième disque. Vous minutez donc votre visite pour saisir, en trois enjambées, vos trois galettes, en veillant bien à ne retenir aucun double CD, au cas où la fourbe bienveillance de l'agent chargé de la refonte bihebdomadaire du règlement intérieur, guettant votre venue, ne décide, à la faveur d'une délibération inopinée du conseil municipal, de trancher l'ambiguïté terrorisante qui nous taraude tous: un double CD compte-t-il pour deux ?
Votre hantise de l'univers carcéral est telle que vous n'osez penser à conserver, et ce, même dans l'intime pénombre des rayonnages de la "musique traditionnelle", un quatrième disque. Vous minutez donc votre visite pour saisir, en trois enjambées, vos trois galettes, en veillant bien à ne retenir aucun double CD, au cas où la fourbe bienveillance de l'agent chargé de la refonte bihebdomadaire du règlement intérieur, guettant votre venue, ne décide, à la faveur d'une délibération inopinée du conseil municipal, de trancher l'ambiguïté terrorisante qui nous taraude tous: un double CD compte-t-il pour deux ?
La technique du iench (en français, chien)
BRANDEL/WPA/SIPA |
Il
s'agit là d'une technique mixte qui consiste à ne JAMAIS se rendre à la
médiathèque sans préparation. L'idée est d'inscrire, au pire sur un
post-it, au mieux sur le métacarpe, un maximum de
références pour parer toute panne d'inspiration (ou de stock). L'enjeu
est primordial, en particulier pour ne pas tomber dans la sempiternelle
prise d'otage d'un agent municipal, qui, pour d'obscures raisons
déontologiques, refuserait de vous fournir l'identité du dangereux
malade qui garde depuis 6 mois le Live Again de Georges ARVANITAS, alors
que vous souhaitiez absolument écouter, et de suite, la résonance
mécanique de la wha-wha filtrant les répercussions de la frappe agile
des plaques d'aluminium sur Indian, par exemple. Cette rigueur
préventive peut, chez certains maniaques, aller jusqu'à emmener une
copie certifiée conforme de l'index de leur discographie, afin d'éviter
de se rendre compte, une fois rentrés chez eux, qu'ils ont emprunté
TROUT MASK REPLICA huit fois cette année, uniquement pour se persuader
qu'ils n'arriveront jamais à l'écouter en entier.
La technique éternelle
Allez chez le disquaire, s'il en reste encore.
La technique éternelle
Allez chez le disquaire, s'il en reste encore.
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