YES l FRAGILE l 1971



"Si votre estomac vous stresse, écoutez YES."
 

La thèse de doctorat de l'illustre gastro-entérologue aquariophile, le Professeur Maybe, (Vers une remise en cause de l'Echelle de Bristol, les reflux gastro-oesophagiens dans le rock progressif britannique),  nous explique en moins de 10 000 pages les liens qu'entretiennent l'écoute de la musique du groupe YES avec le cancer du colon. Quelques extraits.

"C'est de la douleur que nait la libération; de la lourdeur la légèreté. La douleur du plaisir de s'être trop nourri. Dans un monde où la préférence va aux branleurs plutôt qu'aux gobeurs, YES apparait comme la pierre angulaire du kitsch ambitieux, témoignant d'une appétence maladive pour les contrastes (au sein d'un même album, d'un même titre, voire d'un même thème). Car sa virtuosité lui permet non seulement de disposer d'un taux de déchets sonores supérieur à la normale, mais aussi de produire certaines des plus grandes fulgurances de la musique moderne.[...] Beaucoup de facteurs permettent d'expliquer les troubles que YES provoque sur la digestion des sujets sains. Comme une agréable sensation de malaise.



I. Un patronyme à l'ambiguïté évidente


Son nom, tout d'abord, dont la naïve simplicité, vide de tout sens caché, professe aux futurs yuppies les bienfaits de la réussite, et aux gaullistes leur obsolescence. Une recette qui sera reprise par les gastronomes helvétiques pendant la décennie de la win, forcément. [...] 




II. Une élite sans fondement
 
[...] Le Conservatoire National des Superhéros Musiciens a fait le choix d'asseoir sa réputation sur l'exhibition de ses individualités.

Aux claviers, un démiurge à la toge à vomi phosphorescente dont le régime sec à base de couenne de sanglier empêche son épiderme de se régénérer.
Aux chants aigus, un Raëlien macrobiotique pour tous, à l'aise sur toutes les voyelles. On conseillera aux plus fragiles les "i", dont la prononciation permet de maintenir une machoire serrée, à même d'anticiper tout reflux soudain, plutôt que les "a" ou "o", plus risqués pour les textiles délicats.
A la basse, un génie anorexique amateur de natation.
A la caisse claire, un ambidextre bientôt cramoisi.
Aux guitares, un mime à la santé gastrique particulièrement fragile. Sachez que l'incontinence digitale caractéristique des solos de guitare alambiqués, particulièrement douloureuse, peut provoquer, outre des spasmes faciaux peu télégéniques, une dégénérescence soudaine des cellules de Paneth chez certains sujets dépendants. 

Pour plus de précisions, reportez vous utilement aux cartes blanches dont disposent chacun d'entre eux dans l'album Fragile. [...]



III. De l'influence rétienne sur les contours de l'anneau de Shatzki

[...] Contrairement à certaines idées reçues, l'impact de la vision sur la digestion n'est pas infondé. Conscient que l'art gastrique a besoin de lui, Roger Dean, se fondant sur les thèses controversées du Dr McCALLUM, parviendra avec une singulière audace à concrétiser l'ambition sonore de YES, fossoyant avec allégresse la typographie de Rick GRIFFIN. [...]



IV. Le fibroscope, un instrument à l'accordage capricieux 

[...] Mais c'est bien entendu la musique de YES qui interroge le plus les spécialistes de l'intestin. [...] Depuis quelques années, la continuité conceptuelle de Cucamonga fascine le monde du rock. Un dépassement des limites temporelles à même de démontrer la caractère transcendantal d'une musique inédite conçue par des êtres d'exception. Toujours en "pole" quand il s'agit de finesse, YES suit le mouvement, mais avec ce petit plus gourmand qui soulève le diaphragme. L'innovation consiste ici à mêler deux concepts purement artificiels, en construisant l'album comme un millefeuille miroir praliné/salsifis, parsemé de fèves de tonka sur un lit de truffe blanche d'été dans lequel les ingrédients symboliseraient chaque musicien.

Un défi culinaire qui deviendra vite une énigme pour la médecine. Comment l'Histoire parviendra-t-elle à digérer une telle recette ?

Sur le dessus, une première couche caractéristique du goût vicieux de YES pour les extrêmes. Dans le manifeste Roundabout, YES, fidèle à son premier degré instinctif, surcharge d'emblée la première bouchée. Après le jingle de la SNCF (quand l'harmonique la plus intelligible du monde rencontre l'effet le plus éculé ; le piano inversé), l'overdose d'orgue entame son sprint fractionné. Sur un son très mat, direct, pré-compressé, on devine l'indifférence du jeune batteur à l'écoute des mièvres fioritures de ses collègues chargés des harmonies. Mais paradoxalement, c'est cette logorrhée qui permet, en creux, de magnifier la richesse du pont magistral au coeur de la génoise.
[...]
En-dessous, la couche la plus dense, celle qu'aucun lave-vaisselle ne parviendra jamais à effacer, qu'aucun nutritionniste n'osera prescrire. La synthèse indélébile. Poussée à un régime post-21st/Pictures Of A City, la
télépathie sismique de la rythmique digère les dernières avancées de la science que le rock progressif n'aurait jamais du essayer d'approfondir. Obsédés par l'immédiate urgence de la transe, ils concoctent le remède définitif pour le prescrire au maître quart-de-queue, qui, en phase terminale, saura en extraire toutes les molécules. L'ultime spasme polyphonique du colibri imberbe montre combien sa résistance ne fera que contaminer plus encore son organisme trop fragile. [...]

Assises contre ces deux couches, quatre "fines" sous-couches représentent chaque musicien:
  1. Le(s) pianiste(s), enfant prodige propre à 5 ans, expose ici en quelques mesures tous les enseignements qu'il reçu de sa formation de dame-caca aux toilettes du Royal Albert Hall, conformément aux clauses contractuelles en vigueur. 
  2. Statique, Farinelli l'évangéliste montre toutes les limites du 48 pistes, au contraire des possibilités montrées par The Fish. Une pesanteur, plombée par son chapelet de références artificielles (à 1'30, descente à la Rain, Moondog, bruitages du petit déjeuner d'Alan Parson,...)
  3. [...] et parmi ces individuelles tranches de mie insipides, l'idole de Vito, accompagné de woodblocks pré-Larks, foudroie de ses dix nageoires plectrales les pistes infinies d'Eddie Offord. 
  4. Ceux d'entre vous qui seraient sensibles au doux fumet de la potée de nylon (Bert Jansh via Nick Drake via Paco de Lucia...), préfèreront The Clap (The Yes Album), à la mâche plus fraîche.
Au coeur de leur met délicat, YES accorde à l'impatient tambour (le seul capable de réunir ses collègues malgré la lassitude) le temps nécessaire pour un exercice de respiration algorythmique étonnement digeste. [...]  Pour en préserver les arômes, ce noyau est protégé par deux couches intermédiaires qui achèvent de caractériser l'appétit de YES pour la schizophrénie sonore. 

[...] Victime de son instabilité climatique, YES oscille entre l'échec d'un groove complexé et la fluidité d'un interlude aérien, démesuré, solidaire, qui assure la réhabilitation harmonique du viking acnéique tout en préservant les exploits rythmiques ininterrompus, pour se fondre dans un déluge de choeurs infini. [...]
Toujours plus fourbe, le groupe parvient à assurer ce contraste au sein d'un même thème, où la permanence des cordes surchargées n'a pas la décence de s'effacer devant les râles idoines de la Rickenbacker poncée. Dans cette récréation pré-progressive, seules les discrètes griffures du piano nous rappellent la tuerie de Kent, Ohio[...] ".

En tout état de cause,  si un confrère vous propose de l'accompagner au séminaire Cruise To The Edge, dénoncez- le à l'Ordre National des Gastro-Entérologues dans les meilleurs délais.

15 commentaires:

  1. Oh my god! J'espère que je ne vais pas être à l'origine d'un revival Yes!

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  2. Magnifiquement ubuesque, je transmets de suite à mon frère gastro enterologue.

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  3. Oh merde, enfin j'veux dire ...
    Rassure-moi, ce Cruise To The Edge c'est bien un fake ... j'en crois pas mes yeux !

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  4. J'ai bien peur que non mon pauvre ami. Le MSC Divina prendra la mer la 7 avril.

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  5. ah ah, excellent ! (enfin à lire, hein, pas à écouter...)
    "l'incontinence digitale caractéristique des solos de guitare alambiqués" => bien joué, bien joué !!

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  6. Deuxième Yes de la semaine, faudrait voir à calmer le jeu, les amis… il en va de ma santé !!!!!

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  7. ET j'aime ce groupe MAIS comme j'ai aimé cette chronique!! Quel travail, quel humour et quel croisière (et comme EWG, ce n'est pas une Blague,)

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  8. Très drôle ! :) Pourtant, j'aime beaucoup "Close To The Edge", et je trouve ce "Fragile" vraiment pas mal. Pas au point de pousser plus avant ma connaissance du groupe (je n'ai et n'ai jamais écouté que ces deux-là. Mais je conseille Close To The Edge à tout le monde, l'écouter au moins une fois. Au moins pour la culture, comme on dit.

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  9. Vraiment top délire ton papier.
    Un disque de YES, vraiment LE choix idéal pour ce thème !!!
    C'est le prototype du groupe mal aimé par excellence, détesté par tous les groupes punks 77's (quasi leur leitmotiv créateur) et ringardisé de nos jours.
    "Fragile" a quand même été vendu à plus de 2 millions d'exemplaires !!! Et il me semble avoir lu une interview où James Murphy de LCD Soundsystem ventait les vertus du suivant "Close to the Edge".
    A +

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    1. Merci les gars. Concernant Close To The Edge, il faut reconnaître que le riff de Siberian Shaktru et le passage Total Mass Retain (les accents Squire/Bruford) sont assez traumatisants. N'oubliez pas non plus l'intro de Survival (Squire toujours), Then, No Opportunity Necessary, No Experience Needed, ou encore les frottages de Steve Howe sur Yours Is No Disgrace, tout de même.

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  10. FAN-TAS-TIQUE ! J'aime beaucoup la photo de Steve Howe. Finalement, je suis content de pas être arrivé à jouer comme lui (eh oui, j'ai appris "modo for a day" quand j'étais ado, c'est grâce à eux que je me suis mis aux Ramones...)

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  11. Mais quand même, calmez-vous : quand un truc devient tellement ringardissime, ça revient à la mode. Voyez Giorgio Moroder avec Daft Punk ! Allez pas nous faire un revival prof' rock, le Zornophage risquerait de devenir Ministre de la Culture !

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  12. Beuark ! une semaine après j'en vomis encore. Dire que c'était mon premier choix (Relayer en fait) mais je ne regrette pas d'avoir changé, tu le racontes mieux que moi.

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