Interview l lemok, l'anonyme absolu




























"Je suis très gribiche, musicalement"
lemok, l'Anonyme Absolu.
par 
Gilbert "Vulgos" Raconte.


On pensait en avoir fini des hirsutes "génies" tapis au fond de la banlieue ouest. Ces glandus faussement passionnés, voûtés sur leur carte son sur laquelle ils branchent leurs guitares vintage acquises par le mécénat de leurs géniteurs. On pensait qu'il était de bon ton de se suffire des reformations perpétuelles pour acnéiques amnésiques. Encore une fois, on avait tort.

C'est le hasard qui m'a fait croiser la route de ce putain d'énergumène. Aucune idée du prototype. En même temps, ça fait longtemps que j'en n'ai plus gros à branler. Plus de trente ans passés à dégueuler toujours la même chiasse de bios torchées, remplies d'anecdotes de tisards. Un cocktail à la recette immuable, avec un peu d'Iggy, du Lester dans le texte, la semence du roi Lézard et l'obsession du Lou. 
Le patron pensait pouvoir me coller un enième kop de jeunes proto-psychés qui bloquent approximativement sur Syd. Qu'ils les bouffent leurs bandeaux, les has (never) been. La tendance ne veut plus que du sexy/jeune/joyeux ou de l'inconnu/seul/déprimé. Fuck la nuance. Moi, je veux rien. Ou, à la limite, du gros cheap, qui sent, et surtout, qui percera jamais. lemok est de ceux là.

Traînant mes tiags (celles qu'Alice Cooper balança au gibus fin 74 dans la face d'un laidron du 2eme rang qu'avait cru bon couiner sur Schools out - aurait mieux fait de réviser son bachot, la greluche) dans les sous-bois de Vincennes à la recherche fortuite de l'Ayler francilien, j'aperçus, à 6 mètres de haut, un pauvre gars, les pieds ballants, la barbe qui pend. Les chamois. Le rocher du Zoo. Le come-back du buvard ?

A la vue de son majeur m'indiquant l'entrée, je gravis de mon piolet son caillou en carton. Après 2 heures d'ascension, l'Inconnu me reçoit, de dos, avec la peau de bête de Gonzo Nugent sur la nuque. Peut pas habiter dans le 19eme comme tout le monde ?

T'as commencé ta carrière en montant un récital de barques dans la grotte du Lac Daumesnil. On peut savoir pourquoi ?

Ca t'écorcherai donc le museau de saluer ? Bon. L'idée était de tenter une variation sur la Symphonie Inaudible composée par mon cher lemokDaron. Une partition tellement noircie qu'elle obligea Ivry Gitlis à accompagner en live un sac à patate tokyoïte sur la scène du cirque PINDER. Mais je tiens tout de suite à te corriger. Je n'ai pas de carrière. C'est là tout le défi, faire de la balle, mais que pour soi. Le rejet de toute reconnaissance. La reconnaissance c'est ce qui tue tout. Et pour cela, TOUT doit rester inachevé.


En même temps, après la publication de cet entretien, ça risque d'être tendu de rester anonyme, non ?

J'hésite, mais il y a de grandes chances que tu m'obliges à t'immoler. Tu aimes bien l'azote liquide ? Et puis de toute façon, j'ai un contrat avec Spotify. Dès que mon nom est saisi dans la barre de recherche, ils m'avertissent. Et comme la saison de la chasse démarre...


lemok va farfouiller je ne sais quoi au fond de sa grotte. On peut écouter un bout de ce que tu fais ?

Donc tu n'as rien saisi. Je te rappelle une dernière fois que tout le merdier que j'enregistre reste planqué, là, jusqu'à ce que ça sorte. Peut-être.

On peut savoir comment tu composes ou tu préfères continuer à répondre comme un connard?

Ici même, dans le rocher. L'acoustique est démente. La taille des multiprises également. Quand j'ai entendu pour la première fois Neil enregistrer For the Turnstiles dans sa cuisine, j'ai trouvé ça dément, bien sûr, mais je l'ai trouvé un peu étriqué, tout de même. Alors moi, du coup, je joue dans le caillou, histoire que ça roule. Bien calé, je prends ma gratte, je la frotte à mort, pendant des heures, jusqu'à ce que ça sonne. Et comme ça se produit rarement, ça me laisse le temps de faire autre chose.

Je n'ose te demander quoi...

Tu as en effet tendance à exagérer, c'est prudent de ta part d'hésiter. Mais en gros, je me consacre beaucoup à la Côte de Beaune, c'est très technique, je peaufine ma recette de tête de veau, aussi, et j'écoute beaucoup de Crimson. Et en ce moment, je me prépare psychologiquement avant de mater l'intégrale Tarkovski. J'espère y arriver d'ici la fin de l'année.

Tu as travaillé avec du monde ?

C'est compliqué. Les gens ont souvent un besoin viscéral d'exprimer -voire d'imposer- leurs goûts. Pourtant majoritairement décevants. J'ai mené pendant longtemps un projet inutile avec Paquito. On était bien raccord sur l'objectif et aussi sur les moyens. Aucune compétence technique, un son cheap à décoller le lambris. Absolument aucune ambition, donc, deux grattes, le pire, et des goûts qui convergeaient essentiellement sur le prog, et encore, j'étais en pleine période révisionniste. Le seuil de l'Enfer. Je te raconte pas la lourdeur de notre version de Planet Caravan....
Quelques mois plus tard j'ai tenté une association avec la Gobie, assez pro. C'était 2 ans avant que le business d'el triangulo ne le bouffe. Mais bon, à sa place j'aurais fait pareil. J'ai d'ailleurs fait pareil. Mais ça n'a pas marché, je veux dire, encore moins. Passons. Avec la Gobie, on avait une approche super-complémentaire: il parlait énormément, j'écoutais sans relâche. On partageait à mort l'anonymat: sa carrière commencée il y a plus de 20 ans est assez admirable de ce point de vue. Mais, à un moment j'ai craqué. La jeunesse sans doute, la précipitation. J'ai voulu qu'on essaye de "bosser", ou plus exactement de réunir les conditions propices à ce que ça sonne. J'ai sans doute pas assez préparé mon acolyte. A l'écoute de ces mots, je l'ai senti décrocher, partir pour de bon dans ces aléas rythmiques, le médiator rageur. Et puis 2 folks, si tu pines rien au picking, à quoi bon. Ca ma conforté dans l'idée que je ne pouvais développer mon absence de talent que seul.

Tu te souviens du premier disque que t'as chouré ?


 

Bien sûr que non, j'ai pas de mémoire à plus de 5 ans, mais si j'invente un peu pour que tu puisses rebondir, je dirais... Phallus Deï, à Gibert ou peut-être le live de John Handy à Monterey. J'ai toujours du mal avec les voix, j'ai du mal à partir quand ça cause. Il faut savoir se taire. Et c'est aussi valable pour toi.

J'imagine que tu as eu ta période keupon ?

Je suis resté bloqué en 73, donc non. Et je suis très strict là-dessus. Après, je crache pas sur les Stooges, Dirt fait toujours très mal, ni sur Townshend, parfois. Je consomme violemment du garage aussi. Tu connais Quatrain ? Après, faut reconnaître que personne ne dépassera jamais les Pretty Things. Et puis dans le 12ème, la révolution a du mal à prendre, c'est étrange. Oui, à part la guillotine, je sais.

Comment as tu commencé la musique ?

Comme un jeune con, j'ai entendu Hendrix, 30 ans après sa gerbe, et forcément, j'ai acheté une folk. Rapidement, je suis tombé amoureux de Soft Machine, et je me suis dit que j'avais fait une belle connerie.


Vu ton hérédité, j'imagine que tu as fait le conservatoire ?

Au contraire. Pour faire le rebelle, je me suis mis en tête de ne jamais apprendre. J'ai bien cédé quelques semaines, au début, pour savoir comment plaquer la main gauche -Au coeur de la nuit, la loose-, mais j'ai lâché tout de suite. Plus grave, et par peur panique de la récupération, j'ai refusé pendant longtemps de bosser des reprises. Composer, tout de suite, sans les outils. Trop con pour savoir que le Dead était à la base un groupe de blues. Et je sais que tu écriras jug band pour faire le malin. Depuis, aucun progrès à noter. Et c'est là toute ma gloire.

Tu prépares quoi en ce moment ?

Je commence à réfléchir à réarranger mes premières démos. Si je les retrouve.

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