LE SKEUD l Municipales, le bruit et l'horreur


Une enquête au vitriol sur l'omerta dans les services publics municipaux, publiée à l'époque sur le défunt Skeud.

Dans chaque municipalité, la médiathèque constitue, avec le marché alimentaire du dimanche matin, la manifestation la plus visible et l'une des plus anciennes de la politique culturelle territoriale. Un havre de savoir qui sent bon les acariens. Un mausolée de la connaissance où la page cornée se fait reine, où l'hospitalité se veut religion. Car avant que l'avènement du pire-to-pire ne légalise les partouzes auditives, les futurs has-been des nineties y passaient le moins opaque de leur temps, ces rachots.

C'est sur la rue de Fontenay, ce Mississipi francilien de la honte qui sépare les Nordistes des Sudistes, qu'Henri Gaudin, l'architecte ès Guggenheim, décida d'ériger la Sagrada Familia de la culture du prêt.


Le site
www.enssib.fr
La vitrine que constitue la médiathèque (autrefois discothèque) impose à la Ville de voir grand, de penser beau, de dépenser grave. Si bon nombre de collectivités favorisent le développement de pandémies oubliées par l'empilement acharné de services publics désertés (le combo magique MJC  + piscine + maison de retraite + PMI + médiathèque, sorte de succédané urbanisé de l'illustre dépôt de pain/buraliste/café/boucherie/Poste/Pompes Funèbres de nos villages reculés), certaines municipalités engagent depuis quelques années une démarche au modernisme exacerbé. En sollicitant les services de Riton le maître bâtisseur, la ville de Vincennes, pourtant conservatrice sur de nombreux points, a ainsi entamé une pharaonique rénovation de son "coeur de ville" (on s'attardera avec admiration sur l'habile allégorie cardio-vasculaire) dont l'émirat de Dubaï n'a étonnement pas souhaité s'inspirer. Sans doute la crainte de la comparaison.

Face à l'Hôtel de ville trône donc désormais le plus visité de nos monuments. Un Titanic d'aluminium inaltérable, gardien du sanctuaire dont seules les meurtrières d'émeraude satisferont l'indiscrétion maladive de vos iris envieux. Une fente étroite et profonde perfore la façade, pour mieux engloutir les visiteurs furtifs, à l'ombre des passants relativement rares dans ce quartier, n'exagérons pas non plus. 




www.henrigaudin.com

Une fois à l'intérieur, un vertige vous saisit, voisin de celui que vous avez éprouvé, enfant, lors d'un de ses innombrables camp de vacances dans les Landes, où, au hasard d'une course d'orientation, le moniteur avait jugé opportun d'organiser un remake de Delivrance dans lequel vous incarnez Bobby, forcément. Engourdi, une vive chaleur rénale vous empêche de vous repérer dans ce hall zénithal aux murs souillés par le gang saint-mandéen des graffeurs daltoniens de petite taille.


Le personnel
www.normalesup.com
C'est en escomptant le soutien d'un habitué que votre regard-balai croise la monture à écailles de l'agent d'accueil. Un Répliquant, à première vue. Méfiant, vous vous approchez de l'hygiaphone, flanant votre indifférence à la moustache flétrie du contractuel à la lecture absorbante. Après 20 bonnes minutes d'ignorance mêlée de toux, reniflements et crissements de semelles Topy, force est de constater la relativité de votre charisme. Vous envisagez donc de l'entreprendre old school, les couilles entre les dents, à la manière de Sylviane (l'agent mutante, mi-Sylvie, mi-Liliane), rencontrée lors de votre stage en entreprise au centre de sécurité sociale de votre génitrice de maman. Une saillie brutale, nerveuse, qui ne laissera aucune ambiguïté quant à votre soif de savoir où emprunter des putains de disques, bordel ! Mais ce cerbère territorial, ultime survivant de l'âge d'or qui vit la contractualisation irraisonnée de la tranche majoritaire de la pyramide publique des âges, est rompu à la gestion des conflits. Il ne cédera pas. Aucun mot, aucun souffle (et ne nous en plaignons pas car qui sait si l'étanchéité des joints de l'hygiaphone est normée ?) ne sortira de ses rares dents. Il sent que vous n'avez pas encore souscrit l'inscription annuelle, et ce, malgré la dématérialisation des formalités administratives qui facilitent tellement votre vie de citoyen, pourtant. Il renifle jusqu'à votre incapacité à maîtriser vos instincts charlesmansoniens, pour vous indiquer de son ongle rongé par autre chose que le stress les modalités d'inscription, qui devraient être modifiées d'ici 2 semaines, d'ailleurs, merci d'anticiper. Dépité, il ne vous reste qu'à admirer la ronde des entrechats bonaliens du vigile en pleine préparation du semi-marathon.

Le prêt 


www.justeacote.com
Je n'ai rien de spécial contre les fiefs de petite couronne, mais sachez qu'à une époque désormais révolue, le règlement intérieur de ce Temple de la culture municipale imposait des règles de fonctionnement bien précises que peu de touristes germaniques de passage en Argentine oseraient encore contester.

Car oui, anti-vincennois primaires, il ne s'agit pas simplement de s'emparer d'un disque de sa main moite pour le déposer sur le comptoir de l'agent municipal, qui, après un magistral scan du code barre, vous assommera d'un "Au revoir et bonne journée" un poil mécanique avant de reprendre, passionné, la lecture de ce brillant condensé d'érudition francilienne que constitue la rubrique " A voir" du Parisien. Non, c'est bien plus compliqué que cela. Outre l'interdiction absolue d'accès aux non-vincennois (au premier rang desquels trône l'ennemi Saint-Mandéen), ce sont les modalités de prêt, limitées à 3 CD, (+ 3 livres, 3 BD, 3 RAIDER et 3 pins parlants), pour un délai de 3 semaines, qui constituaient une véritable torture mentale du résident. Un piège destiné à tester votre capacité à arrêter la trinité idoine. Pour cela, plusieurs techniques s'offrent à vous. 


La technique du débutant

Votre hantise de l'univers carcéral est telle que vous n'osez penser à conserver, et ce, même dans l'intime pénombre des rayonnages de la "musique traditionnelle", un quatrième disque. Vous minutez donc votre visite pour saisir, en trois enjambées, vos trois galettes, en veillant bien à ne retenir aucun double CD, au cas où la fourbe bienveillance de l'agent chargé de la refonte bihebdomadaire du règlement intérieur, guettant votre venue, ne décide, à la faveur d'une délibération inopinée du conseil municipal, de trancher l'ambiguïté terrorisante qui nous taraude  tous: un double CD compte-t-il pour deux ?

La technique du iench (en français, chien) 
 BRANDEL/WPA/SIPA
Depuis sa délocalisation à Nantes, le Centre National du Casier Judiciaire peine à mettre à jour les dossiers de la lettre C. Et comme vous vous appelez Jean-Pierre CHACAL, petite fouine, vous profitez de cette errance administrative pour emprunter la carte de bibliothèque de votre grand-mère, que vous avez bien entendu inscrit à ses frais, afin de contourner honteusement la Règle de Trois. Comble de la filouterie, vous dépassez systématiquement le délai d'emprunt de 3 semaines, peu concerné par la dégénérescence ophtalmique de votre aïeule désormais incapable d'assurer l'exégèse mensuelle de ses relevés de compte pourtant sévèrement burnés. 


La technique de trop


Il s'agit là d'une technique mixte qui consiste à ne JAMAIS se rendre à la médiathèque sans préparation. L'idée est d'inscrire, au pire sur un post-it, au mieux sur le métacarpe, un maximum de références pour parer toute panne d'inspiration (ou de stock). L'enjeu est primordial, en particulier pour ne pas tomber dans la sempiternelle prise d'otage d'un agent municipal, qui, pour d'obscures raisons déontologiques, refuserait de vous fournir l'identité du dangereux malade qui garde depuis 6 mois le Live Again de Georges ARVANITAS, alors que vous souhaitiez absolument écouter, et de suite, la résonance mécanique de la wha-wha filtrant les répercussions de la frappe agile des plaques d'aluminium sur Indian, par exemple. Cette rigueur préventive peut, chez certains maniaques, aller jusqu'à emmener une copie certifiée conforme de l'index de leur discographie, afin d'éviter de se rendre compte, une fois rentrés chez eux, qu'ils ont emprunté TROUT MASK REPLICA huit fois cette année, uniquement pour se persuader qu'ils n'arriveront jamais à l'écouter en entier.

La technique éternelle


Allez chez le disquaire, s'il en reste encore.

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