Exhumant mes souvenirs scolaires bruineux, je me rappelle avoir fait la connaissance des Taupes assorties sur le trajet de l'école, foulant de mes sabots bitumeux l'humus profané des rives éphébiphobes du Lac de Saint-Mandé, là où le Jourdain prend désormais sa source. Le pull camionneur remonté jusqu'à la glotte, j'affrontai vigoureusement la cime épilée des conifères lacustres du Bois de Vincennes.
Les fumées polaires enveloppaient sournoisement mes phalanges boudinnées qui forçaient, jusqu'à la rupture, la résistance de la molette du volume. Ma foulée gebreselassienne se ralentit. Des sous-bois humides s'élevaient les plaintes lascives de Robert la chaudasse. Plus loin, plusieurs espèces de petits animaux velus rassemblés dans une grotte et dansant avec un écossais sans âge s'accouplaient joyeusement dans une bacchanale miyazakienne.
Quand un chapelet de six lentes gouttes gelées interrompit les joies soudaines de leurs museaux réchauffés. Le rivage artificiel se rapprocha de mes pas, laissant s'écarter la brume devant la barque du Passeur. Vêtu d'une toge trop large, l'agent municipal m'invita à monter sur son cheap esquif, car sinon, dessous, c'est mouillé et froid. Enivré par les effluves du Lac zubrowskien, le Marin philosophe ramait métronomiquement de sa gauche main pataude. Un feulement de velours polyphonique jaillit de sa capuche en tergal; peut-être l'ais-je réveillé. Il m'initie tendrement à son dialecte régressif en me contant dans le creux de l'oreille les légendes convenues des Peuples Insulaires auprès desquels il me conduit. Ses psaumes évidents, déclamés comme si son existence en dépendait, irradient ma suffisante conscience et transpercent sans relâche mes pupilles lardées de stalactites lacrymales. Sans prévenir, son trousseau de clés fracassa le fond de cale moisi de sa pirogue en carton. Le capitaine m'avoue que ce n'est pas grave, que ça signifie seulement qu'il a perdu confiance, car cela ne va pas l'aider à m'atteindre. Nous affleurons la berge. Son visage capuchonné disparu pour laisser place à l'Ile.
Un escadron de piafs bourrés me rase la couenne. Moi qui n'ai jamais pu blairer les poules d'eau. Heureusement que ça vole pas. J'effleure de mon pied couard le sol bleu de l'Ile aux Télépathes. Trois écureuils méfiants dealent des noisettes herbacées sur la plus haute branche du grand Cailloutier, arbre-terroriste réputé pour l'agressivité de ses fruits de pierre dont la chute inopinée, m'invitant à un funeste destin, connu l'humiliation définitive: l'esquive de mon saut de gazelle. Loin d'être fortuite, l'avalanche fructifère signifiait en réalité le début de la Première Guerre. Celle opposant les Cordes aux Marteaux. Un conflit d'une précision microcosmique.
Le Professeur Sinclair, chef des armées, réunit ses troupes pour un rapide debrief devant sa caravane. Il rappelle à tous ses barbares les fondamentaux de l'art martial. Son ton est docte, précis; son rapport, complet. Certains se demandent s'il ne serait quand même pas un peu old fashioned. Assez peu féru de stratégie militaire, je profite d'une interruption brutale de séance pour me réfugier près de la Source éternelle afin d'épancher ma soif. Le menton tendu vers l'élixir, j'aperçois une famille d'immigrés Water Wrackets. Les représentants de ce peuple oublié, loquaces mais approximatifs, comprennent vite que je ne suis pas des leurs. Mon accoutrement d'adolescent non acnéique doit y être pour quelque chose.
J'ai comme la sensation que mon légendaire sens de l'orientation me fait cette fois-ci défaut. Plus aucune trace des valeureux combattants. J'ai beau fouiner, pas un indice. Une atmosphère pré-apocalyptique m'étreint. Le grand cailloutier resonne à la charge. Les assauts reprennent. Invoquant le vert chaman du blues blanc, les barbares reviennent à cordeaux tirés, me lardant sauvagement de leurs saillies chirurgicales. Saigné, je pose ce qu'il me reste de genou à terre.
Et moi, pauvre bourgeois laborieusement pragmatique, paumé au milieu de ces mystiques exotiques, je sens le sol glaiseux se dérober sous mes babouches. Mes paumes meurtries par la prise désarticulée des rhizomes fuzzés, je dévale, inexorablement, je fonds sous ces borborygmes lunaires, happé par les abysses de ce lac que je croyais artificiel. Je ne respire plus.
L'oscilloscope s'emmerde. Je lutte quelques instants contre les grondements sourds de mes tympans plombés. Abandonné, revenu à l'Origine d'où tout provient, j'abdique. Les flashs mélotronnés, involontairement agressifs, mutent naturellement en un irrésistible halo d'hermine sacrée. Je ne suis plus, j'y suis. La Paix.
Epilogue 1
Epilogue 1
Prostré dans l'herbe chétive, entre un mégot centenaire et un cacacanin du matin, ce que je prends pour un jingle de Radio Nostalgie me sort de ma torpeur courbaturée. J'ouvre mon oeil le plus vaillant. Caroline, banale élève de la 3ème B, se penche sur moi, quelque chose du Professeur Sinclair dans le faciès.
-"Ca va ? Un p'tit coup de barre, Babar ?"
- "Ah...salut...Caro ! T'as...fait l'exo de maths, toi ?"
-"Arrête, c'est trop auch, bla, bla, bla...".
Bon, bah tant pis.
Epilogue alternatif
Garé sur une place handicapé, le vulgaire camion blanc n'a toujours pas bougé. Caroline devrait penser à éteindre la bougie fondant son tableau de bord.
commentaire
Allez savoir pourquoi, mais je me suis permis, lors de la copie de ce chef-d'oeuvre sur K7, de coller O Caroline à la fin de la bande. Un hasard immature, reflet inconscient de l'éternel trauma du petit Robert, à jamais hanté par cette égérique déclaration d'amour pré-adultérine, pourtant déjà exhibée sans honte dans la confidentielle partouze de The End of an Ear: To Carla, Marsha and Caroline (For Making Everything Beautifuller), brouillon parfait d'Instant Pussy.
La dernière réédition de février 2012 nous rajoute sept bonus pas vilains, et notamment une version de Memories aussi instrumentale qu'addictive.
Robert WYATT
batterie, chant, mellotron, piano
Bill McCORMICK
basse
David SINCLAIR
orgue, piano
Phil MILLER guitare
invité Dave McRAE
piano électrique
Alan CRACKNELL
peinture
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